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mercredi 26 décembre 2018

Le vélo a changé ma vie - Chapitre 6

Si vous n'avez pas lu les premiers chapitre, suivre ce lien

Chapitre 6
Assumer ses limites et rouler pour l'équipe

Ne pas être le meilleur de mon équipe ne me dérangeait pas du tout. Faire partie de la meilleure équipe Maître du Québec, porter le même maillot que mes coéquipiers, partager leur motel, parce que nous nous mettions à plusieurs par chambre pour sauver de l’argent, me satisfaisait amplement. En direction vers une course en voiture ou le soir après une première étape, j’assistais souvent aux échanges entre Alain, Gaétan, Jean et Claude sur ce qui s’était passé dans la journée et qu’est-ce qu’on pouvait faire de mieux la journée suivante pour changer la dynamique de la course ou pour permettre à l’un ou l’autre de nous de gagner la course ou de gagner des rangs dans le cumulatif de la fin de semaine. Comme j’étais toujours un peu plus à l’arrière des autres, je pouvais voir si ce que les gars avaient prévu se produisait et s’ils avaient oui ou non bien réagi de la façon qu’ils avaient convenu de faire. À la longue, et avec le temps, il m’arrivait de mieux interpréter qu’eux ce qui s’était passé, de sorte qu’avec le temps je me suis impliqué un peu plus dans les stratégies. C’est à ce moment au début de ma 3e  année de compétition que j’ai compris quelle place je pouvais occuper et le travail qui s’y rattachait pour donner un coup de mains à mes coéquipiers. Je ne gagnais pas de course. Je ne constituais pas une menace pour les meneurs. J’ai fini par comprendre qu’à défaut de gagner des courses, que je pouvais me battre pareil, faire ma place et la garder. Je suis devenu un domestique, un plombier comme on dit au hockey. Je n’étais plus le petit nouveau. J’avais fait mes preuves. Quand on intervient dans une course pour permettre à ton coéquipier de gagner un championnat, çà se placote autour. J’ai fini par faire partie des vétérans. Les meilleurs et les vieux de la veille venaient me voir maintenant après les courses et s’informaient comment cela s’était passé pour moi aujourd’hui. On ne m’a jamais sacré après pour une erreur de pilotage, même que sur certains circuits on me gardait à l’œil. J’avais la réputation de me frayer un chemin vers en haut assez vite. On me gardait à l’œil. Il se pouvait qu’en certaines circonstances, que je ne puisse rien faire pour mes gars, mais en d’autres, ma contribution fût toujours très appréciée. Cela ne pouvait quand même pas marcher à tout coup. Mais j’avais appris de Jean Garon mon coach, qu’il fallait essayer, provoquer des affaires.  Puis, pourquoi ne pas feinter quelque chose?

Si Alain, mon leader, tentait ou prévoyait une échappée à un moment donné, il m’en avait glissé un mot avant la course pour que je remonte en haut dans le bon moment et lorsque la chasse s’organisait contre lui, je tentais du mieux que je pouvais de m’installer devant les meneurs, question de nuire à leur rythme. De toute façon, toute l’énergie que cela me demandait pour remonter en haut de la sorte à quelques reprises ne me permettait d’y rester que quelques minutes, le temps qu’on s’aperçoive de mon petit manège et que d’autres prennent le lead rapidement pour m’écarter. Si je pouvais faire ce blocage à une couple de reprises avec des gars d’équipe adverses qui pouvaient y trouver leur compte aussi, cela pouvait permettre à Alain ou à Gaétan de prendre le large. De plus, comme Alain et Gaétan étaient souvent surveillés par des gars qui leur collaient au cul, il m’arrivait de m’infiltrer de force en arrière d’eux pour en tasser une couple. Comme mes chums me voyaient venir, ils s’arrangeaient pour placer une petite accélération le moment que je m’immisce entre eux et leurs adversaires. Bien mal venu celui qui voulait prendre ma place. Je sortais les coudes et je n’hésitais pas à faire contact, voire à pousser volontairement si cela devenait nécessaire. « Hey man dégage, c’est moé qui est icitt » Je me faisais crier après, mais je m’en câlissais, cela faisait partie de la game.

Alain et Gaétan avaient chacun leur style de coureurs, ce qui m’amenait à les conseiller différemment, bien quand ils me demandaient mon opinion. Alain était un gars tellement fier, qu’il demeurait souvent trop longtemps à tirer en avant du peloton, de sorte qu’il avait souvent brûlé trop des cartouches avant le sprint final, une de ses spécialités pourtant. Or, combien de fois lui ai-je conseillé de faire attention à cela, qu’un tel ou tel autre était toujours dans son cul et ne faisait qu’attendre le fil d’arrivée pour le sauter. Mais que voulez-vous? Un pur- sang est un pur-sang. Il me regardait les yeux un peu sceptiques, surpris et me disait…
« Stu vrai Bob? »
« Bin oui Calvaire Staffair! »
« Oui mais je voulais faire ceci, cela, je pensais que cela était pour marcher… En tout cas, la prochaine fois, je ne me ferai pas avoir, Christ Bob!»
Gaétan lui, de peur de mettre en danger sa saison de ski de fond par une mauvaise chute, évitait les sprints de masse. Cela ne voulait pas dire qu’il ne pouvait pas gagner de courses. Il les gagnait juste autrement. J’avais été témoin tellement de fois de mauvaises fins de courses par mes gars qu’en dernier, j’en étais rendu à leur suggérer ce qu’ils devaient faire le lendemain selon le parcours qui nous attendait. Pour Alain, c’était de s’épargner un peu plus, quitte à ce que Gaétan mène à l’avant à un rythme tellement élevé, qu’Alain pouvait sauter tout le monde en sortant de l’arrière si sa sortie était bien calculée. Et pour Gaétan, ce grand 6 pieds 2 pouces 175 lb, champion canadien de ski de fond, avec un cardio effroyable, pouvait sortir par surprise au moment que le monde ne s’y attendait pas le moins du monde, plusieurs kilomètres avant l’arrivée pour s’élancer sur un contre-la-montre que personne ne pouvait suivre à moins qu’un cycliste eut été capable de sauter dans sa roue, et encore. Le peloton devait travailler si fort pour revenir sur lui, qu’Alain pouvait contre-attaquer immédiatement la jonction faite. Soit que Gaétan rentrait victorieux en solitaire, revienne dans le pack ou qu’Alain en remette pour rentrer sur un sprint plus long que d’habitude, ce qui était excellent pour lui contre les sprinters courtes distances.

2 anecdotes me reviennent souvent en tête lorsque je reviens dans le passé pour illustrer des situations de course que j’avais provoquées pour mes gars. Une bonne et une plus mauvaise.

Commençons par la mauvaise. Nous courrions une provinciale à Acton Vale en Montérégie. Rien ne s’était passé lors de cette course. Plusieurs tentatives sans succès par personne. Nous approchions à vive allure la fin de la course. Parfois, il m’arrivait d’analyser les fins de parcours la veille, surtout quand ceux-ci finissaient un peu plus Rock & Roll comme c’était le cas lors de cette journée-là. Il fallait effectuer un virage en « S » à 90 degrés à 500 mètres et traverser une voie ferrée à sa sortie juste après à 250 mètres de l’arrivée. Dans ma tête, je savais que les sprinters attendraient que ces difficultés soient passées avant de déclarer les hostilités dans le dernier 200 mètres. C’était trop dangereux de rentrer en gang à tombeau ouvert dans ces deux virages avec la voie ferrée pour finir. J’avais fait signe à Alain de me rejoindre sur l’extérieur pour lui dire que je sortirais en fou avant le virage en coude et qu’il se devait de me suivre. Qu’à l’allure que j’étais pour rentrer dans les virages en S que personne d’autre ne me passerait, à moins de prendre le décor! Aussitôt après la voie ferrée, tu t’envoles parce qu’il est certain que je n’aurai plus de jus. Comme prédit, les mains dans les arches de mon guidon, je sors en sprint sur le côté extérieur du peloton pour entrer le premier dans le virage à vive allure à une vitesse qui m’a même fait peur. Pas question de regarder en arrière en pareilles circonstances. Advienne que pourra. Je réussis à revenir à l’intérieur pour reprendre le prochain virage toujours en tête avec autant de vitesse sur la gauche et à ma sortie de la voie ferrée de l’autre côté, je n’en peux plus et je me tasse pour laisser passer Alain…en principe. Malheureusement, Alain ne m’avait pas pris au sérieux, m’avait-il dit après la course, et c’est Daniel Périgny, un gars de Shawinigan,  un ancien sénior de l’équipe nationale, qui avait pris ma roue pour entrer presque seul comme Alain aurait dû faire. Périgny s’est approché de moi dans le cool down après le fil d’arrivée pour me dire que je devrais parler moins fort avec Alain et que ma stratégie avait été l’une des meilleures qu’il avait connue… SACRAMENT D’OSTIE DE CALICE DE TABARNACLE!!

Nous sommes toujours en Montérégie sur terrain plat sur l’une des dernières courses de la saison. Mon pote Alain est premier au cumulatif du Super Prestige avant cette dernière course par quelques points seulement devant un autre gars. La seule façon pour ce type de gagner au classement provincial de la saison était de s’assurer de gagner la course sans qu’Alain ne soit sur le podium. Cette course fut ponctuée de plusieurs échappées, dont l’une, à l’insu d’Alain vers la fin de la course avec ce gars en question à l’avant. Alain avait encore travaillé trop fort à l’avant et il avait manqué le bateau lorsque ces trois gars l’ont pris par surprise. Personne ne voulait les chasser et à chaque fois qu’Alain a voulu sortir du peloton pour les rejoindre, des gars travaillant pour l’échappé réussissaient à le reprendre et à venir baisser le tempo à l’avant. L’échappée n’avait pas une grande avance. Moins de 30 secondes si je me souviens bien. Nous les avions toujours à vue, c’est ce qui était choquant. Je ne me souviens pas qu’Alain m’ait demandé quoique ce soit de lui-même dans une course depuis que nous courrions ensemble, mais cette fois-ci, il m’avait dit « Bob, je suis un peu fatigué. Je n’y arriverai pas seul!» Je n’ai pas su quoi lui dire. Sa demande m’a figé bin raide. Vais-je être capable? J’étais déjà éprouvé par les tentatives répétées qu’il avait tenté lui-même de faire. Tout tournait tellement vite dans ma tête. Je ne pouvais plus attendre. Le temps de réfléchir à comment j’étais pour m’y prendre nous faisait perdre du temps précieux. Je n’avais pas à sortir comme une bombe me suis-je dit, de toute façon je ne décrocherai pas personne si Alain, lui-même, n’a pas été capable. Je vais juste me mettre dans le rouge pour rien et il n’est pas garanti que je puisse maintenir ce rythme longtemps pour couper l’avance des gars en avant. Le but était donc d’augmenter le rythme pour qu’on me laisse tranquille à l’avant, et ce, aussi longtemps que je le pourrai ! That’s it! J’ai pris quelques grandes respirations, j’ai repris mon calme et le contrôle de mon rythme cardiaque et j’ai pris la commande du peloton en augmentant discrètement ma vitesse de façon régulière, et à ma grande surprise, les gars les plus forts du groupe ont préféré me coller plutôt que prendre les devants pour venir me ralentir. Une occasion s’offrait donc à nous me suis-je dit. Sans donner de coups, je me suis efforcé de maintenir ma vitesse la plus élevée possible aussi longtemps que je le pouvais. Je n’ai qu’une chance. Je me suis accroché après mes cocottes de guidon, fléchi par en avant, les bras à l’équerre, les coudes à l’intérieur, la tête penchée, pour à la fois regarder à l’avant, mais aussi pour regarder sous mes aisselles pour voir ce qui se tramait à l’arrière. Je suis en pleine puissance. J’ai les schnolls, les couilles bien appuyées sur le nez de la selle, je m’efforce de maintenir la bonne cadence alliant force et vélocité. J’avais commencé à retrancher du temps précieux. Je savais que je me rapprochais légèrement des gars en avant. Les gars me collaient toujours au train arrière et je savais qu’Alain veillait aux grains à l’arrière, qu’il se doutait que cela ne pouvait plus continuer encore très longtemps mon affaire. Nous faisions souvent des sprints de pancarte ensemble lors des entraînements, alors il était très familier avec ma silhouette à l’effort. Je souffrais le martyre, je grimaçais d’effort, j’avais quitté les mains sur le dessus des cocottes pour m’accrocher dans les drops et quand je suis rendu là, je sais que la fin approche. C’est le dernier effort que je peux donner et je m’en fous de sauter. C’est ma job et il n’y a que moi qui peux la faire alors, à la seconde que je rends l’âme à 45km/h, instantanément, Alain a trouvé les ressources pour donner le coup de grâce. BANG ! Il est sorti du peloton comme une bombe avec l’énergie du désespoir. Il y a bien quelques gars qui ont réussi à le coller quelques instants, mais ils ont à peu près tous sauté l’un après l’autre eux aussi sous le rythme qu’il leur a imposé. Mon travail avait porté fruit. Comme dans toutes les courses où des coureurs se disputent un podium, le gars qui menaçait Alain à l’avant s’est retrouvé seul à travailler, parce que les deux autres ne voulaient plus coopérer. Tu veux gagner le Super prestige mon homme et bien à toi de travailler pour! Le temps que les gars s’envoient chier, Alain avait réussi à les rejoindre pour finalement rentrer 3e. Alain avait donc assuré sa victoire au Super Prestige du cumulatif provincial chez les maîtres « A » (35 à 45 ans).

Classement Super Prestige 1992
Pour ma part, j’avais complètement explosé à l’arrière et j’étais rentré seul loin en arrière après tout le monde. Selon l’enthousiasme qu’Alain avait en revenant sur moi après mon arrivée, je savais que nous avions réussi. Lorsqu’il m’a accueilli, je me suis empressé de lui demander… 
« Çà-tu marché Alain? »
« Oui mon homme, ça marché ! »
J’étais tellement heureux. C’est le plus beau souvenir de vélo que je garde gravé dans ma mémoire. Alain m’avait dit après la remise des médailles « Bob, cette médaille t’appartient un peu» et il me l’avait remise autour du cou quelques instants. Cette victoire est l’un des plus grands sentiments de fierté que j’ai connu dans ma vie. Je ne crois pas en avoir connu d’autres aussi fort.

J’étais revenu de cette fin de semaine galvanisée par ces résultats. Il ne nous restait que quelques courses sur le circuit régional à Québec et j’occupais la quatrième place au cumulatif en arrière de mes 2 leaders et un dénommé André Gagnon du Centre Bicycle St-Foy, un féroce compétiteur, un spécialiste de patin de vitesse, qui était tout juste en avant de moi au classement. Comme les premières et 2 e places au général étaient assurées pour mes 2 leaders, je leur avais demandé de me donner un coup de main pour une fois, ce qu’ils ont pu faire admirablement. Les gars étaient si contents de m’avoir retourné l’ascenseur. Une saison de parfaite. 1, 2, 3 pour Boutique Sextemps!
Classement mardis cycliste, Québec 1992



***
(À suivre... dans une semaine)

Coach BOB la gazelle!
--------- __o
------- _-\ <,'  
Aussi un rouleur!

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Note de l'auteur

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