Translate

mardi 11 décembre 2018

Le vélo a changé ma vie - Chapitre 4

Si vous n'avez pas lu les premiers chapitre, suivre ce lien

Chapitre 4
Une rencontre marquante

Tout allait comme sur des roulettes à mon travail comme représentant publicitaire pour le magazine de la compagnie aérienne Inter-Canadien. Je vendais autant du local que du National auprès des grandes agences de pub. J’allais régulièrement à Montréal, aller-retour dans même journée, pour « closer » mes ventes. Je prenais l’avion à 6h du matin et je revenais sur le vol de 17h ou 18h en fin de journée. Je pouvais rencontrer jusqu’à 6 clients enlignés dans une même journée. Un vrai contre la montre. J’étais devenu un homme d’affaires en complet cravate. Le patron de mon chum André, parti pour la radio, était tellement satisfait de moi, qu’il m’avait vendu son condo dans le Vieux-Port de Québec, une proportion en argent, et la balance en monnaie d’échange. Il s’agissait d’un système d’échange, de troc si vous voulez, mis sur pied à cette époque pour favoriser les échanges de services entre entreprises, sans avoir à sortir de l’argent comptant. L’idée n’était pas mauvaise en soi. Dans le milieu de l’édition par exemple, s’il me restait quelques espaces publicitaires à vendre avant une date de tombée, je regardais dans le membership de ce regroupement, qui pouvait être un client potentiel pour mon magazine. S’il était un restaurateur par exemple, il me refilait le nombre de tables d’hôte à son restaurant qui équivalait au prix de ma publicité. Cela faisait chacun notre affaire. Il obtenait une excellente visibilité dans un magazine rejoignant essentiellement des gens d’affaires et moi des repas que je pouvais offrir à mes meilleurs clients pour les remercier de leur fidélité. Or, mon boss m’avait vendu 50 % de son appart en argent et l’autre en échange de cette monnaie de singe. Qui pouvait se procurer cette monnaie selon vous, si je voulais éponger ma dette? Il avait bien flairé l’affaire le gars. En acceptant ce deal, il s’assurait que je reste chez lui pour le rembourser, puisqu’il n’existait aucune autre façon pour moi de gagner de cette monnaie d’échange qu’en travaillant pour lui. Vous voyez l’affaire? Je m’étais fait fourrer dans un certain sens. Anyway, je débutais une nouvelle vie comme propriétaire d’un superbe condo au 29 rue Sault-au-Matelot en plein cœur du vieux Québec.
Immeuble doré. Rue piétonnière 2015
J’y demeurerai pendant 14 ans ! Dans ce temps-là, le quartier n’était pas du tout développé comme aujourd’hui. C’était même reconnu pour être un quartier un peu démuni. Un chic hôtel aujourd’hui voisin de chez moi était à cette époque un immeuble désaffecté et squatté par les punks de Québec. Cela ne m’effrayait pas. J’avais vu les gros chars passés comme on dit.  Tranquillement, avec le temps, je m’étais fait une couple de chums sur le BS très utiles dans un HLM d’à côté. En échange d’une couple de gros gaskets ou de poudre à perlimpinpin, que je pouvais me procurer encore, j’avais acheté la paix dans le quartier. J’étais un homme respecté. À cette époque, il était fréquent qu’un voisin se fasse défoncer, alors que moi, j’avais la grosse paix. Mon voisin, l’antiquaire Belleville avec qui je m’entendais très bien, étions sur la protection. On nous avait adoptés.

Nous étions au début de l’hiver, genre en novembre et je venais de m’inscrire au Gymnase du Mail Saint-Roch. Le quartier Saint-Roch au début des années 80 ne ressemblait pas pantoute, mais pas pantoute à celui d’aujourd’hui. C’est l’époque où on avait recouvert toute la rue Saint-Joseph d’un toit pour en faire comme un mail de centre d’achats. 
Mail St-Roch, fin années 1970

Rue Saint-Joseph avant











Malheureusement, ce Mail servait aussi d’abri pour ainsi dire aux itinérants en hiver. On y mendiait et il servait même de piqueries à certains endroits. La clientèle du Mail n’avait pas l’allure du jeune bourgeois du quartier Saint-Sacrement que j’étais et qui arrivait en complet cravate pour venir s’y entrainer. La clientèle du Gym était plutôt fréquentée par le petit trafiquant, vendeur de dope avec sa paget à la ceinture, ou du videur de bars égocentrique gonflé à la créatine qui aime voir ses gros bras dans le miroir. Combien de fois me suis-je retrouvé entre deux gorilles tatoués dans douche qui discutaient du dernier « move » qu’ils avaient fait la veille au soir. 
«  Yen a mangé une tabernacle Mike ! Je te dis qu’il a eu à sortir par les deux pieds devant ste gars-là!! » 
On a appris à se connaître. J’étais le gentleman du Vieux-Port. Malgré ma silhouette d’échalote, personne ne venait s’installer sur mes appareils tant que j’en donnais pas la permission en disant « c’est beau man sta toi ». De toute façon, je n’en faisais pas longtemps de la muscu. Et je ne faisais pas vraiment les mêmes exercices qu’eux autres. À l’exception des squats, j’étais plus fervent des redressements assis et des exercices pour renforcir mon dos. Après cela, je me tapais une heure sur les quelques vélos stationnaires que le Gym avait à l’écart de la salle de muscu. Je me suis entrainé à ce Gym pendant 14 ans, le temps que j’ai vécu dans le quartier. Tout le monde me connaissait et je n’avais plus besoin de mettre un cadenas sur ma case. Le gars qui se serait fait poigner à fouiller dans ma case se serait fait couper la gorge !

Il n’y avait qu’une chose qui me manquait à vrai dire. Un vrai bike ! Denis et sa blonde avaient repris possession de leur maison au même moment que j’avais acheté mon condo et il n’était pas question que je reprenne l’entrainement l’été suivant avec le vélo de mon chum André. C’était clair dans mon esprit qu’il fallait que je me trouve un vrai vélo de route comme tout le monde qui me clenchait. C’était écrit dans le ciel que j’étais pour prendre ma revanche l’été prochain à armes égales. Je me suis donc mis à regarder les petites annonces dans le Journal à la recherche d’un vélo. L’Internet en était qu’à ses premiers balbutiements. Un peu avant Noël, que vois-je? « Saint-Émile, Vélo de route Peugeot en parfait état. N’a roulé qu’une saison, Cadre Reynolds 501, monté en campy Chorus, roues en alliage, 1 850 $ non négociable »


Ciboire! Je saute sur le téléphone et je m’empresse d’aller chercher l’information auprès du vendeur. Un jeune qui s’était acheté ce vélo-là neuf l’été d’avant et qui devait vendre vite, parce qu’il avait besoin d’argent. Il n’y avait pas grand monde dans ce temps-là qui pouvait s’intéresser à acheter une bécane à 2 000 piastres $. Je lui ai montré mon permis de conduite, j’ai sorti mon carnet de chèques et il a accepté mon offre à 1 700 $ ! Pas question que je passe mon tour. À mon avis, ce vélo valait près de 2 500 $ ! Vous vous imaginez? En 1987, il y a 31 ans ! C’est comme si aujourd’hui, j'achetais un vélo de 6 000 $ pour 3 ! Je l’ai mis dans mon coffre de char right away, puis j’ai chanté à tue-tête tout le long jusque chez moi. J’étais l’homme le plus heureux du monde. Je m’en souviens comme si c’était hier. L’achat d’un nouveau vélo, comme vous savez, procure beaucoup de bonheur, alors imaginez pour moi, mon premier avec le cheminement que j’avais. Je venais de m’acheter un vélo qui ne pouvait plus me servir d’excuses pour expliquer une contre-performance.

J’avais tellement hâte à l’été, vous ne pouvez pas savoir. J’ai redoublé d’ardeur au gym, pas croyable! Je revenais à la maison le soir et la première chose que je faisais était de regarder mon bike dans les yeux et de lui dire « quand je vais te t’enfourcher toé, ça va être ta fête! » Nous étions en 1988 au printemps de mes 33 ans, un hiver complet sans aucune cigarette, pas de gaskette et ni de ligne de merde. Si vous aviez vu la face de mes chums du HLM à côte dans rue, lorsqu’ils m’ont vu sortir avec mon beau Peugeot sur le trottoir aux premiers chauds rayons de soleil à la fin d’avril accoutré comme j’étais!! Avec mes grands lainages que je devais enrouler deux ou trois tours à la taille, parce qu’ils étaient trop grands pour moi. Du linge emprunté voyez-vous hi hi hi.
« Eh ! Le clown, tu t’en vas ou de même…Christ Bob, Stun estie de beau beucycle cela? » disaient les gars en expirant une bonne touche de cigarette. 
« Cela mon homme, c’est une machine !» en mettant mon cul dessus.
Mon vélo était un peu plus petit que la grandeur qu’on m’aurait vendue en boutique. Si je me souviens bien, c’était un 56 alors qu’aujourd’hui je roule sur du 57 et on me recommande souvent du 59 pour ma grandeur. Le Reynolds 501 était l’équivalent du Colombus chez les cadres en alliage acier/Cromoly. À l’époque, je ne pouvais pas le comparer avec d’autres types de cadre. J’étais complètement néophyte en la matière. Évidemment, il n’y avait aucune comparaison à faire avec mon beau Poliquin jaune. Sa légèreté et conduite sont les deux aspects qui m’ont surpris le plus. Je m’en suis vite aperçu dans mes premiers virages. Oups mon homme, soit prudent, tu n’as pas trop le droit à l’erreur. Je n’avais qu’à incliner le vélo en appui dans les virages et vlan, c’est parti ton affaire mon homme, c’est là que tu passes et pas ailleurs, accroche ta tuque ! Et c’est quand je suis arrivé dans mes premières côtes et que je me suis levé en danseuse pour la première fois, que je me suis aperçu comment mon petit Peugeot était un bolide, « stiff » en accélération et relance, même en le comparant quelques années plus tard avec mon Desmarais en Colombus SLX que j’ai eu. Je l’ai gardé 4 ou 5 ans mon Peugeot et je n’ai pas eu honte de le revendre 500 $ à mon voisin pour qui s’était mis au vélo, et il ne s’en est jamais plaint.

Mon premier parcours que je ferai durant des années et pas mal plus souvent que j’aurais pu me l’imaginer, était de sortir de ma rue par Saint-Paul, aller sur le boul. Champlain pour remonter à l’autre bout des ponts, pour aller rejoindre la rue des Hôtels qui donne sur le Chemin Saint-Louis. Dans ce temps-là, il n’y avait personne ou que très peu de monde qui roulait sur ce boulevard, que ce soit au printemps ou n’importe quand durant l’été. Il n’existait à peu près pas de cyclistes sportifs comme aujourd’hui. Quand je voyais une face, je le saluais bien sûr, mais je m’efforçais aussi de savoir qui était-ce. Et la plupart du temps, il s’agissait de coureurs que j’avais vus lors des courses du mardi soir l’été. Ils étaient habillés avec leur ensemble de club la plupart du temps, donc facilement reconnaissables.

Pour revenir chez moi en fin de parcours, j’avais le choix d’emprunter la haute ville, soit par le Chemin Saint-Louis à nouveau, St-Cyrille, aujourd’hui René-Lévesque, ou d’aller rejoindre le boulevard Charest pour rentrer par la basse ville. C’est d’ailleurs sur Charest que j’ai rencontré mon premier cycliste maître, qui a bien voulu m’adresser la parole et me prodiguer quelques petits trucs pour mieux rouler. Mon grand ami et défunt Évariste Lavoie, mort à l’âge de 78 ans le 6 juillet 2004 avec sa télécommande de télévision dans les mains à écouter le tour de France. Je venais de connaître l’un des plus grands mordus cyclistes que le Québec ait connus. Évariste avait tellement bourlingué, qu’il ne savait plus où suspendre ses médailles ou remiser les nombreux trophées qu’il s’était mérités partout au Québec ou ailleurs dans le monde. Il y en avait plein son salon et même accrochées après ses poignées d’armoire de cuisine. C’est sûr que certains jaloux diront, qu’il n’a rien fracassé lorsqu’il était jeune sénior comme eux, sauf qu’il avait déjà été couronné champion du monde dans sa catégorie d’âge. Sans enfant ni femme dans sa vie, Évariste n’avait que le cyclisme comme passion l’été. Année après année, il s’est toujours présenté sur les lignes de départ pour donner le meilleur de lui-même pendant plus de 60 ans. Vous y pensez?!
Évariste à ses dernière années
Voici ce que Michel Bédard, un de mes futurs coéquipiers de vélo, lui a témoigné lors d’une soirée reconnaissance où nous nous étions tous réunis, cyclistes de Québec, pour lui offrir un nouveau vélo en remplacement de son Marinoni qui était affaibli de partout.

« Rappelons-nous qu’en Europe, le cyclisme est plus populaire que le hockey. Or, notre cycliste québécois ne craint pas d’aller se mesurer, année après année, avec les grands mordus de la pédale. En 1987, il remporte même le Championnat du monde de cyclisme dans sa catégorie. Il est trois fois 3e à ce championnat; une fois 2e et une fois 7e en coupe du monde. Au tour du Var sur la Côte d’Azur, il est deux fois vainqueur, trois fois 2e et une fois 4e. Il compte dix participations à la Semaine internationale du cycliste à Deutschlandsberg avec deux victoires et monte huit fois sur le podium. En 1974, il remporte la Maine International Bicycle Race.
Au Québec, notre increvable Évariste compte 57 années de course cycliste : il fait 29 fois la course cycliste Québec-Montréal (la course la plus longue au monde pour amateurs). Il participe à dix Tours du Saint-Laurent et en gagne une étape. On le voit aussi dix fois dans la course Québec-La Malbaie. Lors des championnats canadiens et québécois, il devient un familier du podium. En 1946, alors que la plupart d’entre nous ne sont même pas nés, il gagne le Championnat canadien, dont le départ s'était donné par Camilien Houde. »

Évariste ne se faisait pas à manger. Il demeurait au coin de Charest et de Marie-de-L’incarnation, et mangeait trois repas par jour au restaurant Normandin en face de chez lui. Je suis ému d’écrire ces quelques lignes à son sujet. Quel homme charitable. Il m’avait pris sous son aile. J’avais fini par connaitre son horaire et je m’arrangeais toujours pour le croiser quelque part dans l’ouest de la ville vers Saint-Augustin-de-Desmaures sur le territoire des Louis Garneau, Marc Blouin, Yvan Waddell et Cie, des gars que je ne connaitrai que beaucoup plus tard.

Il moulinait avec précision comme une vieille machine à coudre Singer. Vous vous souvenez des courroies d’entrainement des machines à coudre que nos mères faisaient tourner à la main pour les aider à démarrer. Bien, Évariste avait cette régularité et souplesse dans son coup de pédale. Il m’avait demandé mon âge à ma 2e saison avec mon super Peugeot, que j’adorais toujours. 
« 33 Évariste »
« Ouin tu es un peu jeune Robert. Je te croyais un peu plus vieux. Écoute lâche pas, je te trouve vraiment bon. Continue de t’entrainer comme cela, et si tu fais toujours du vélo à 35 ans, bien tu pourras venir courir avec nous autres chez les maîtres. Je te présenterai à la gang».
 Wow, qu’est-ce qu’il vient de me dire lui là?
« Tu dis que je suis bon Évariste ! J’ai de la misère à te suivre et tu as 61 ans voyons donc!! »
« Non non, crois-moi m’a-t-il dit avec sincérité »
Quand même curieux que je m’éblouisse devant les performances d’Évariste âgé de 61 ans, alors qu’au moment je vous parle j’en ai 63. À la différence que je ne fais pas le même effet aujourd’hui à un jeune homme de 33 ans que lui m’a fait. Ce soir-là, quand je suis revenu chez moi après mon entraînement, je flottais dans l’air, je venais de monter une autre marche. Je le connaissais le bonhomme. Je le voyais se battre et se colmater avec les plus jeunes lors des mardis cyclistes. Je ne pouvais pas m’imaginer gravir les échelons jusque-là, mais là, il venait de me donner le goût d’essayer. Il ignorait quel regain de vie il venait de me donner. C’est grâce à lui si j’ai persévéré jusqu’à l’âge éligible 2 ans plus tard.

***
(À suivre... dans une semaine)

Coach BOB la gazelle!
--------- __o
------- _-\ <,'  
Aussi un rouleur!

----- (_)/(_) 
Pour faire ou voir les commentaires peser sur « 0 ou (nb) commentaires » à droite de l’heure de la parution de l’article dans la zone verte en bas.
_____________________________________________________


Note de l'auteur

"J’aurais certainement souhaité écrire un livre en bonne et due forme et le vendre en librairie. Alors, si je vous ai fait sourire, distrait, passer du bon moment, pourquoi ne pas m’exprimer votre reconnaissance, si ce n'est pas déjà fait, par un don en appuyant sur le bouton « Faire un don » dans le menu en haut de la page à droite."  

Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire

1) Ecrivez votre texte dans le formulaire de saisie ci-dessus
2) Si vous avez un compte, vous pouvez vous identifier dans la liste déroulante Commentaire
Sinon, vous pouvez saisir votre nom ou pseudo par Nom/URL
3) Si vous le faites avec le profil "Anonyme" vous identifier SVP à la fin de votre commentaire.MERCI.
4) Cliquez sur le lien "M'informer" et soyez avisé en cas d'une réponse à votre commentaire
4) Cliquer sur Publier enfin.